Ensemble Mehter (Janissaires)
MUSIQUE MILITAIRE

MEHTERANE ET LE DEVELOPPEMENT DE LA MUSIQUE EN TURQUIE

par Mahmut Ragıp Gazimihal

L'utilisation efficace de la musique dans les armées et dans les guerres, est une tradition qui existe depuis très anciennes civilisations. Les mémoires documentaires de l’histoire militaire turque qui remontent jusqu’au IVème siècle Av.J.C., montrent évidemment que la musique militaire turque a plus de 2500 ans d’histoire. Pour les temps précédants, nous ne possédons que des histoires mi-légendaire .

L'école et l'organisation d’ancienne bande militaire turque qui s’appelait "Mehterhane", a existé dans l’Empire Ottoman pendant des centaines d’années en occupant une place respectée dans les lois d’état et en gardant son étendu toujours au même niveau. A la suite des prestigieux siècles, le corps fut supprimé en 1826 et fut remplacé officiellement par la nouvelle “bande musicale” modelée sur le style occidental. La musique de Mehter qui a pénétré les coeurs depuis des siècles, n’est pas oubliée. Les échos lointains de ces bandes historiques sont vivants aujourd’hui dans beaucoup d'oreilles. Bien que l’usage de la musique de Mehter dans les villes a diminué de plus en plus, la tradition de DAVUL(grand tambour) et ZURNA(cornet turc) continue en plein force dans les villages. L’expression "Aucune fête de mariage n'est complete sans DAVUL et ZURNA" montre que cette tradition est toujours vivante. Les “Davul” et “Zurna” accompagnent toujours les danses folklorique et héroiques en plein air appelées YALLI, BAR, HALAY et BENGİ.

Küvrük (Kûs - aux temps modernes on l'appelle “Kös”)

Tümrük (Tabl, Dühül - aux temps modernes on l'appelle “Davul”)

Çeng (Zil, Symbales- aux temps modernes on l'appelle Çang)

Nous savons que certains de ces noms, qui sont d’origine turque, étaient adoptes par certains dialectes Asiatiques.

Malgré tout cela, il n'est pas rationnel de déclarer que le corps de Mehterhane est d’un caractère proprement turc. Les noms des instruments et de leur utilisation dans les années ultérieures ne suffisent pas pour expliquer l’origine du Mehterhane. Cependant, il y a d'autres documents qui soutiennent notre déclaration. Permettez-nous de revoir brièvement certains de ces documents : Deux siècles avant Jésus-Christ, un général de l'armée chinoise avait fait une visite politique au palais des Khans turcs. En raison des formalités, cette visite a été prolongée jusqu’à une ville appelée Balasagun, de laquelle il ne reste aujourd’hui que des ruines. Sur son retour à la Chine, le général a réussi à prendre à son pays un ensemble d’instruments appelé “Tuğ Takımı”. Les concerts donnés par ces instruments pour l'audience chinoise, ont été inscrits dans les chroniques chinoises. Parmi les instruments à vents qui sont amenés en Chine avec cet ensemble, il y avait un instrument appelé "HOU KYA". C'était un instrument qui appartenait à la famille de cornes. Le "HOU KYA" a été connu par son corps incliné et percé de trous et aussi par le son noble qu’il produisait. C'est le même instrument que les Persans appelaient "NAY-I TÜRKÎ". Voici une traduction d'une poème de Nizamî, un poète persan du XIIème siècle:

"Le son venant du "Nay-i Türkî" était si touchant que tous les Turcs étaient fous de joie". Les anciens documents objectifs montrent que l’ensemble d’instruments “Tuğ” avait occupé une place extrêmement significative dans les palais de Balasagun.

Nous pouvons citer ici certaines phrases rencontrées dans plusieurs sources persanes ou turques:

1. KORRENAY, instrument joué par les Turcs et les Persans, inventé par Efrâsiyab.

2. ŞAHNEY et NAY-I TURKÎ, instrument joué par les Turcs Hıta et Chinois

3. CORNE EFRÂSİYAB, instrument joué par les musiciens des troupes militaires des Khan de Crimée, inventé par Efrâsiyab

4. Efrâsiyab qui est le maître de CORNE EN CUIVRE, est aussi l'inventeur de KORRENAY.

D’après les informations que nous avons obtenues de deux sources locales de la région Balasagun et du même siècle, le nom turc d'Efrâsiyab est ALP ER TUNGA. Kaşgarlı Mahmut qui nous parle d'abord de ces sources, déclare que les habitants de la ville de Balasagun ont considéré le chiffre "9" comme sacré. Meragali Abdülkadir qui nous fournit la deuxième source, mentionne lui aussi, le sainteté de “neuf” en se référant aux neuf mélodies jouées par la bande chaque jour pour le roi. La signification immense de “neuf” parmi les Turcs et Mongols n’existe pas seulement dans ces occasions mentionnées au-dessus, mais aussi dans d’autres exemples des années suivantes: Le vezirs de l'Empire Ottoman avaient neuf "Tuğ", Le "Mehterhane" a été composé de neuf “KAT”.

Après avoir vu que la valeur sacrée que les turcs d’Asie Centrale ont attribué à “neuf”, a bien continué à exister dans la culture Ottomane aussi, nous pouvons nous éloigner de l’Asie Centrale. Une importante branche du Tabilhane (ensemble musical composé de grand tambour, cornet, tuyau et de cymbales joués dans les civilisations des premières périodes, d’Egypte et Sumérienne) s’est propagée du territoire des Sultans Seldjoukides, Ilhanides, Ouzbek et Memloukides jusqu’à l’Iran, une autre branche jusqu’au Maroc. La branche de Tabilhane venant directement de l'Asie, a atteint le palais de Delhi. Dans chaque pays où un Tabilhane a été organisé, un répertoire particulier à la culture musicale de ce pays, a été préparé aussi. En plus de cela, les nations ont échangé des cadeaux de Tabilhane.

Ibni Battuda, le voyageur arabe, a écrit ses observations concernant les Tabilhane de chaque pays qu'il a visité. Dans ses mémoires, il mentionne aussi qu’il a observé, dans l’Anatolie, la tradition de Davul et de Zurna (première moitié du XIVème siècle).

Au XVème siècle, le Mehterhane Ottoman a fait un grand progrès dans le développement d'organisation et de répertoire. Ce progrès, il le devait, en grande partie à l'influence du Tabilhane Selchouk qui existait avant que le Mehterhane Ottoman ne s’appartenaient pas exclusivement aux troupes Janissaires. Chaque corps militaire avait des bandes musicales montées ou à pied. Chaque fort, chaque siège social militaire, les vezir de différents échelons, aussi bien que chaque ville, chaque faubourg et village ont organisé des bandes selon leur grandeur. Ces bandes avaient trois, cinq, sept et même neuf "KAT"(échelon). Quelquefois une organisation militaire ou une ville avait même deux bandes séparées. Il y avait presque dix mille bandes dans l'Empire entier.

Le mot "KAT" (échelon) signifie le nombre de chaque instrument existant dans la bande. Par exemple, si une bande avait sept "KAT", cela signifiait que la bande musicale avait sept instruments de chaque sorte.

Les concerts quotidiens en plein air des bandes musicales avaient eu lieu cinq fois par jour Mehterhane (en plus des cinq prières quotidiennes des Musulmans). Ces concerts s’appelaient "Nöbet". Les bandes de Mehterhane donnaient des concerts dans les occasions comme fête de mariage ou des jours fériés. A côté des bandes officielles, il y avait des bandes des organisations commerçantes qui ont été demandé plus que les bandes de Mehterhane. Toutes ces bandes ont été étendues dans l'Empire: du Peleponnesos au Danube, de la Mer Adriatique à la Mer Caspienne, de la Mer Noire à la Mer Rouge.Tous les pays de l'Empire d'Ottoman appréciaient la musique et ils avaient plusieures bandes de Mehterhane. Une telle magnificiance attirait toujours l'attention des pays de l'Europe et les Rois européens ont envoyé souvent leurs maîtres de musique à l'Empire Ottoman pour observer les méthodes de Mehterhane. Les Ambassades Ottomanes en Europe avait toujours une bande Mehterhane.

Cette influence de l’extention d'école Mehterhane en Europe, a aidé, au XVIIIème siècle, au développement d'organisation des bandes musicales militaires occidentales. Pourtant, les experts de musique occidentaux se sont bientôt rendus compte que, sans connaître et comprendre “l’âme” de la musique turque, ils seraient loin d’établir et développer une organisation qui pourrait correspondre à celle des bandes Mehterhane. En conséquence, ils ont commencé à travailler avec différentes méthodes et ont ainsi renoncé à étudier l'école Mehterhane.

Il peut être utile de donner ici quelques exemples de l'utilisation de la musique militaire pour pouvoir montrer la différence entre les turcs et les cercles Européens. Le premier exemple est emprunté au livre “SEYYAHNAME” (Vol. VI, p.237) du célèbre voyageur turc, Evliya Çelebi. Ce dernier décrit le fait d'être témoin d’une grande performance d'une bande Mehtername dans un Palais turc à Budin, la frontière ottomane en Hongrie. D’après son observation cette bande avait sept "KAT" et elle a été placée dans une tour gigantesque qui a été gardée par deux mille soldats. Permettez-nous maintenant de vous donner un autre exemple pour montrer la différence : Au même siècle, Louis XIV, le roi de la France, a pour la première fois, diffusé une instruction écrite concernant les frais des bandes militaires. Avec un ordre écrit en 1683, il a décidé de diminuer les dépenses en réduisant le nombre de certains instruments dans chaque bande. C'était donc une étrange manière d'économie puisque dans les mêmes années, A. Galland(1) suivant un magnifique défilé des Bandes Mehtername à Edirne, une ville de l'ouest de la Turquie, décrit dans son livre: Le défilé s’est terminé par un concert donné par les instruments comme Nefir (cinq ou six), Davul (grand tambour) (huit ), Kös (trois), Nakkare et Zil. Dans sa description de ce défilé, A.Galland dit: "Tout cela a été organisé avec une telle dextérité et harmonie que tout cela n’exprimait qu'une mixture de grandeur, d’héroïsme et d’allégresse que je n'avais jamais auparavant été témoin dans ce pays. Le rugissement et l'écho de quinze Tambours, de quinze Nefir et des Kös ont créé une telle illusion de guerre et de batailles que je ne peux pas trouver les mots nécessaires pour le décrire ici. Quand les instruments appelés Kös et tous les autres ont rejoint les grands tambours, je savais que nous étions venus à une grande finale. Je ne peux pas terminer sans dire que le son étourdissant des 4 Kös - qui étaient les plus grands que j’ai jamais vu - avait tremblé tout mon corps et produit le même effet sur tous les participants. Je crois que ce spectacle a été préparé sans négliger le plus petit détail pour présenter un défilé parfait que le public ne pourrait jamais imaginer et aussi un magnifique spectacle au sultan de l'Empire d'Ottomane".

Les oreilles des européens habitués à écouter de la musique d’un caractère plus doux, trouvaient, naturellement, le fort volume sonore de Mehterhane trop tumultueux. Pourtant, certains auteurs mentionnent dans leurs mémoires qu’ils appréciaient la musique de Mehterhane dans la mesure où ils la connaîssaient. Et plus les occidentaux s’habituaient à écouter de cette musique, plus ils l’aimaient. Si vous désirez apprendre les impressions d'un français du XVIIIème siècle, vous devez vous adresser au travail assez superficiel de l’orientaliste Villote sur le Tabilhane du Caire. Ou si vous désirez de lire un travail plus détaillé d’un musicien italien, vous devez vous adresser aux impressions de Toderini, qui ont été développées à la suite des écoutes répétées des bandes Mehterhane à Istanbul. Les traits et les traces que reflètent certains travaux des compositeurs comme W. A. Mozart, nous montrent que ces compositeurs ne sont pas restés indifférents à la mélodie au rythme frappant de la musique de Mehterhane. Pourtant nous sommes sûrs que ces impressions momentanées n’étaient pas durables. Dans la "Rondo alla turca” qui est composée dans la forme de sonat, pendant que la main droit joue la mélodie la plus animée et brillante de la flûte, la main gauche joue du tambour. La basse persistant de cette main gauche ressemble exactement au rythme fameux des tambours de bande Mehterhane. On appelle ce rhytm fameux de Mehterhane "Düyek".

Bien qu’il y ait des enregistrements écrits officiels qui disent que le Mehterhane avait bien son propre répertoire officiel qui avait fort possiblement subit plusieurs changements au cours des siècles (leurs uniformes et les cadres ont été plus ou moins changés), les compositions et les chansons n’ont pas été mises en notations écrites et le répertoir avait complètement disparu. Il a été enregistré que ces changements n'étaient pas seulement dans le caractère musical, mais aussi dans les uniformes et l'organisation des musiciens. En raison de ces changements et du fait que les mélodies de chansons ou les compositions n'ont pas été mises en notations, le répertoire complet de Mehterhane a disparu. Nous avons des documents qui montrent que le Mehterhane a possédé un répertoire officiel pendant ces temps. Nous avons, pourtant, les enregistrements des “fasıl” et les chansons populaires joués lors des cérémonies de mariages et des fêtes par les bandes de Mehterhane privées des commerçants.

Les manières, les principes, les règles d’habillement des musiciens à respecter lors des concerts de bandes de Mehterhane qui s’appelaient “Nöbet”, les salaires et compensations, les conditions de travail, ont été clairement exprimés dans les lois fédérales. Les conditions de travail et leurs casernes et et la hiérarachie entre les maîtres de musique, les assistants et les étudiants sont les sujets très importants et détaillés et ne peuvent pas être résumés dans un seul article. De temps en temps de nouveaux documents sont découverts dans les archives de l'Empire Ottoman et nous en aurons plusieurs encore. Les recherches de musicologie faites dans ce domaine datent d’une période relativement récente.