Ensemble Mehter (Janissaires)
MUSIQUE MILITAIRE

MEHTER COMME UN ACTE DU POUVOIR ET DE LA PERFORMANCE

par Eugenia Popescu

L'institution de Mehter a été associée, à partir de sa naissance, avec la lignée d'Osman Gazi (Fondateur de l’Empire Ottoman). L'histoire du Mehterhane nous fournit des données sur la signification et l’importance de la musique Mehter dans la vie militaire, politique et sociale des Turcs. La musique Mehter, avec sa structure culturelle complexe ayant une très large contenu de significations qui vont du terrain sprituel jusqu’aux champs de guerre, était une musique qui a pu unifier les activités militaires, cérémonielles et d'amusement avec les couleurs religieuses. La philosophie des corporations militaires médiévales qui s’appelaient “Ahi” et les rituels de “tarikat” (ordres mystiques musulmanes) ont influencé, dans une certaine mesure la structure du corps Mehter ainsi que leurs performances traditionnelles. Par contre, l'influence de la musique mehter a été ressentie dans les travaux réalisés dans plusieurs domaines musicaux mais avant tout dans la vie quotidienne des Turcs. La grande dimension d’expressions suscités par l’événement Mehter, montre l'absorption de tous les aspects de la vie dans un nuage de symboles plein d’allusions et d'abstractions conceptuelles. Si l’on pouvait étudier le Mehter dans son ensemble, on pourrait voir que sa performance présentait un spectacle influent et majestueux comparable seulement à des théâtres antiques. Le Mehter se définit comme “ Türk’ün millî sazı” (Eren 1959:4).

L'ethnographie de mehter a été analysée dans les études prestigieuses écrites par différents musicologues turcs comme Mahmut R. Gazimihal (1957), Haydar Sanal (1964) et Ahmet Tezbaßar (1975). Mon but d’ici n’est pas d’ajouter un nouvelle source de données mais de discuter la corrélation de sens dans le cadre sémantique du phénomène.

La dynamique de la foi Islamique a developpé l'idée de conquêtes militaires avec l'exaltation de la guerre Sainte et de l'élan vital des croyants luttant sous la bannière verte du Prophète. Les Ottomans ont ajoutées, à l'esprit de conquête, la musique maqique du “davul”(grand tambour) et l’effet de l’aspect attirant des “Tuğ” portés devant l'armée. Dans la période expansionniste de l’Empire Ottoman, le son de Mehter fût une voix de terreur pour les pays non-musulmans mais un cri de vénération pour le peuple Ottoman.

La mysticité de la bande de marche turque reste un exemple riche en signification parmi les emblèmes de pouvoir Ottoman. Je pense que le Mehter, comme une caractéristique du style de vie Ottomane, était le reflet musical de l’identité que les musulmans de la nation universelle Islamique appelée “ümmet” ont acceptée pour se definir eux-mêmes. Ce reflet a duré depuis des siècles. Généralement, le concept d'”ümmet” regroupe diverses entités nationales, les communautés, les peuples et les religions, les fusionne dans les qualités et ideals Islamiques. Il y une corrélation sémantique entre le Mehter Ottoman - événement unique plus qu’unifiant- et le concept “ümmet”. D'autre part, le Mehter est un ensemble culturel ayant dimensions complexes avec ses dénotations et connotations. D'autre part, le Mehter est un ensemble culturel ayant les dimensions complexes avec ses dénotations et connotations. En communiquant avec les idées développées dans le milieu culturel, le Mehter a été porteur d’un inventaire des notions conçues par les citoyens Ottomans ainsi que des formes expressives (musicales et non musicales) portées de l’extérieur depuis des siècles dans l’Empire Ottoman.

La musique Mehter se distinguait des autres catégories de musique par le fait qu’elle se jouait pour tout le monde et s’écoutait par une très grande partie du peuple. La musique folklorique a été créée seulement pour les paysans qui vivaient en Anatolie, en Roumélie et dans les autres régions de l’Empire et a été présente dans les milieux ruraux. La musique “ince saz” définie en même temps comme la musique classique, a été exécutée dans les salles de la cour , et dans les “konak” (grands demeures majestueuses) et écoutée par des classes élites, passionnées de musiques et des membres de l’aristocratie. À part ces milieux, les “tekkes Mevlevî” (couvents des dervishes Mevlevî) ont été de véritables écoles de musique où les maîtres de musique enseignaient aux amateurs et à leurs élèves, les arcanes de la musique religieuse et séculaire.

Quant à la musique Mehter, elle s’adressait à toutes les échelles hiérarchiques, du roi au simple citoyen, c.a.d. à toutes les couches sociales de l’Empire Ottoman. La performance et le spectacle de la musique Mehter qui se produisait quotidiennement à une heure précise, réunissait symboliquement le peuple entier qui composait le tissu social de l’Empire Ottoman, dans une seule voix communale.
La culture Mehter a éte produite à la suite de l'accumulation et de l'acceptation des significations fournies par un réseau complexe de systèmes de signe et elle a eu une continuité de cohérence. Le developpement de Mehter montre les directions des changements perpetuels, au cours des siècles soutenus par les formes symboliques et les arrangements sociaux, conformes à la structure et aux objectifs du monde Turque. Aussi longtemps que les liens entre la structure du monde turc et les significations accumulées ont créé une interaction et avaient un vecteur dynamique, leur pénétration et effet fûrent durables.
La validité de la musique Mehter n'a jamais été questionnée par des savants religieux. Les thèmes des marches héroiques et des hymnes de louange aux Gazi ont leur sources directement dans la philosophie du “jihad.” Au contraire des opinions contradictoires et des polémiques interminables parmi uléma (théologiens musulmans) sur l’interdiction ou l’acceptation de la musique instrumentale, il n'y a jamais eu de désaccord sur l'acceptation de l’exécution de la musique Mehter instrumentale ou vocale, dans les cérémonies. L'existence de la musique de davul (tambour) a été systématiquement enregistrée dans les documents qui existent depuis les premières périodes de l’Empire Ottoman. Les arguments historiques montrent que ce style de musique a ses sources dans les traditions pré-islamiques des Turcs. L’histoire de la musique spectaculaire de “Davul et Zurna” remonte aux Turcs mongols qui ont vécu au nord de la Chine (Picken 1975 : 501). Selon les données historiques, la prédominance de la musique du genre “Davul et Zurna” a ses sources dans les Anciens Turcs. Chez les Göktürk (Turcs celestes), on jouait de la musique et du davul pendant défilés militaires qui ont eu lieu en présence du Khan (Tezbasar 1975 : 15). Le lien établi entre le roi et le “davul” a été établi premièrement chez les Grand Seldjukides. En 1065, Sultan Alparslan (1063-1072) avait accordé au Nevbethane le privilège de jouer du “tabl” (tambour) trois fois par jour selon les heures de “namaz” (prières quotidiennes des musulmans)(Turan 1969 : 114). Jusqu’au 12ème siècle, le tabl a été joué chaque fois que le Sultan montait et descendait de son cheval. De plus, cinq nevbets/(tambour) (nevbet-i pençgane) ont été joués pour le Sultan devant les portes de sa résidence et trois tambours devant les manoirs des princes impériaux. La bande de musique officielle des Seldjuk ont été composée des instruments tels que “davul”, “zurna”, “nakkare” et des “nefir”; l'ensemble s’appelait “Nây-i Türkî” yahut “Burk-i Türkî” lors qu’il joue dans les cérémonies privées. La musique jouée par le “Davul et Zurna” fût la musique de danse traditionnelle des villages turcs, depuis les premières périodes où les Turcs étaient venus en Anatolie.

La musique de “davul” (tambour) a gagné une plus noble signification avec la naissance de l'Etat Ottoman. En 1284, le sultan Seljuk, Gıyaseddin Mesud II (1281-1297) a donné à Osman Gazi (1284-1326), le fondateur de la dynastie impériale Ottomane, l'autorité de diriger les territoires s'étendant d'Eskişehir jusqu’à Yenişehir et l'exempté d’impôts. Le “ferman” (ordonnance promulguée par souverain) confirmant ses droits sur les territoires susdits, a été présenté à Osman comme l’un des insignes de “beylik alametleri” parmi lesquels il y avait aussi un ensemble de musique composé de “tuğ”, “âlem” et “tabılhan” (davul et nakkare). Nous sommes informés par une source historique que le “ferman” proclamant l'autorité d'Osman a été envoye au moment d'”ikindi” (milieu de l’après-midi et le temps de la 3ème prière quotidienne des musulmans) . Le Gazi s’est levé et l’ensemble a joué le nevbet (programme de musique composé des pièces militaires, réligieuses ou non réligieuses à des rythmes différentes). Depuis ce jour, les premiers sultans Ottomans ont écouté, en restant debout, le concert de Mehter composé toujours des mêmes morceaux de musique et c’est devenu une coutume. Cette coutume a été abolie par le Sultan Mehmed le Conquérant (1451-1481) et après lui les Sultans ont écouté de la musique Mehter en restant assis.

Le geste d'Osman Gazi exprimant le respect pour le “nevbet” joué en sa présence, a institutionnalisé le spectacle musical de “davul” et a identifié le spectacle de Mehter avec les insignes de la souveraineté du sultan. La musique de “davul” n'était pas, donc, seulement une décoration cérémonielle dédiée au souverain, mais aussi une parfaite expression du titre de souveraineté et du pouvoir actif du sultan et aussi un symbol representant la dynastie. Je crois que les folkloristes turcs ont exagéré l'analogie entre le symbole “tuğ” et la musique “davul” et ont rendu les deux termes synonymes. Bien que mon hypothèse soit simplement linguistique, le lien qui existe entre le “tuğ” et mehter est vraiment une question importante. Le “tuğ”, aussi bien que le sancak, symbolise le pouvoir politique et militaire d'un territoire. C’est comme l’état d’un homme qui se met en route à cheval et qui connaît la distance qu’il a parcouru aussi longtemps qu’il entende les battements de davul. En même temps, le nombre des “tuğ” indique le nombre de guerriers qui sont sous l'ordre du souverain et de son pouvoir ultérieur. On dit aussi que le davul ait le son magique et qu’il ait une affinité avec la conception de la “patrie sacré” héritée de la tradition shamanistique.

Evliya Çelebi, le célèbre voyageur turc, raconte l’histoire du premier “davul” présenté à Osman. D’apres les mémoires d’Evliya Çelebi, le “tabl-ı kebîr”couvert du tissu rouge, a été suspendu sur le tombeau d'Orhan Gazi (le fils d'Osman:1326-1359), qui se trouve dans son mausolée à Bursa. Cette petite histoire est importante, parce qu’elle souligne très bien le rapport entre le “davul” en tant qu’objet et son image en tant que symbol qui reflète les droits et l’autorité du sultan. Le signe métaphorique dans cette histoire a une référence sémantique à trois symboles liés entre eux : davul (l'espace atteint par les sons du davul), le “tuğ” (le territoire atteint par cheval) et “sancak” (territoire de souveraineté et l'emblème de patrie). Ibn Battuda, le voyageur arabe a écrit dans ses mémoires que déjà au quatorzième siècle il a écouté plusieurs tabılhane et la musique de Davul-Zurna traditionnelle en Anatolie. L'organisation du Mehter Ottoman a été developpé avec la formation du corps Janissaire sous le règne de Murad I(1360-1389). La bande de musique Mehter est devenue une institution militaire accompagnant les Janissaires, et elle s’est identifiée à la race des Sultans Ottomans. Le Mehter participait aux expéditions, allait aux champs de combat, y jouait des marches et prenait part à l'attaque aux villes ennemies. Tous les ensembles de “nevbet” ont été réunis sous l'ordre suprême du Sultan Ottoman. Les musiciens mehter ont été recrutés par le système “devshirme” et comme les forces de Janissaires, ils appartenaient à l'armée appelée “kapıkulu”. Les ensembles “Mehter” étaient, en vérité, l’une des divisions du corps Janissaires bien que n'aient pas été obligés de mener leur vie dans les garnisons. Comme leur rôle a aggrandi et leurs activités ont augmenté avec le temps, l’activité de “mehter” a dépassé les limites du corps des Janissaires; les ensembles “Mehter” ont commencé à être établi dans plusieures autres organisations militaires. Chaque corps militaire a établi une bande “Mehter” montée ou à pied. Chaque armée, chaque siège militaire, chaque Vizir, ainsi que chaque ville et village avaient une bande mehter d’une certaine grandeur composée d’après leurs capacités. Les bandes “mehter” jouaient dans les jours fériés, les fêtes, et les mariages et rendait service au peuple. À part les ensembles “mehter” directement dépendant du Sultan, il y avait d'autres ensembles “mehter” qui devaient rendre service aux hauts dignitaires qui avaient le droit d’établir leur propre “mehterhane”. La grandeur de l'ensemble “mehter” dépendait directement du nombre des “tuğ” accordés au grade et à la place du dignitaire.

Bien qu'elle ait subi des mutations, la musique “mehter” a gardé toujours une pléthore de sens reflétée sur les applications institutionnalisées exprimées dans les cérémonies de la société Ottomane. La notion de “mehter” originale affirme que le mehterhane a été, de sa fondation, associée au pouvoir du Sultan et aux insignes royaux de son autorité. En temps de paix, la bande de “mehter” exécutait ses spectacles régulièment en présence du Sultan, l’accompagnait dans les défilés officiels, proclamait son pouvoir absolu dans leurs chansons et prières. L’ensemble de “mehter” accompagnait le Sultan dans ses défilés officiels, jouait dans les cérémonies du couronnement, les cérémonies de remise d'épée, et dans les réceptions données dans la cour et dans les cérémonies d’accueil des ambassadeurs étrangers faites devant la cour. Ils jouait dans les jours fériés et les célébrations de victoire et aux festins donnés en l'honneur des princes impériaux. Le mehteran-i tabl-i alem-i hassa était, sans doute une dimension symbolique de l’autorité impériale qui est inséparable des emblèmes exposées de l’Empire.

Evliya Çelebi raconte une anecdote d'une discussion animée spectaculaire entre le mimarbaşı (chef des architects) et le mehterbaşı (chef de l’ensemble “Mehter”) sur l’ordre de préséance lors d’un défilé des commerçants. Le “mimarbaşı” insiste sur l’importance des artisans appartenant à sa corporation. Dans sa réponse, le “mehterbaşı” prétend que les joueurs de mehter doivent marcher devant toutes les autres organisations et exprime brievement la mission et les principes de la bande “mehter” comme suit :

“Bizim hizmetimiz padişahıma her bar lazımdır. Bir canibe müteveccih olsa mehabet, şevket, salabet, şöhret içün dosta, düşmana karşı tabl-i, kudüm, nefir döğdürerek gider. Hususile cenk yerinde gaziyat-ı müslümini tergib içün yüz yirmi koldan cenk tablına ve kuş-i hakanilere turreler vurmağa saffa başlayarak asker-i islami cenke kaldırmağa sebep oluruz. Padişahım bir şeyden elim zede oldıkda huzurunda on iki makam, yirmi dört şu'be, yirmi dört usul, kırk sekiz terkib-i musik" faslı idup padişahımızı mesrur ideruz. Hükema-i kudema kavlince saz, söz, hanende, mahbub adamın ruhuna safa verir. Biz de ruha gıda verici esnaflardanız...Ba husus ki nerede alem-i resulullah olsa orada tabl-ı Al-i Osman dahi bulunmak gerekdir”(1896:620-1)

(La reponse du “mehterbaşı” ci-dessus est écrite en ottomane. Vous trouverez ci-après son interprétation faite par Evliya Çelebi ): Dans sa description, Evliya Çelebi distingue deux plans de missions. Premièrement, en tant que signification musicale du majesté et du pouvoir du souverain, le mehter réalisait ses missions cérémoniales et militaires, restant en relation avec les mondes opposés. Le deuxième plan reposait sur le but spirituel du “mehter”. La musique classique de “fasıl” jouée par les musiciens de la bande “mehter” afin de remonter le moral de leur souverain aux moments d’épuisement psychologique, accomplissait une mission sprituelle. La mission du “mehter “ de la corporation des commerçants était donc d’assurer la nourriture spirituelle dont les coeurs humains ont besoin.
Evliya Çelebi continue à louer les musiciens du “mehter” en disant :

(...) her gice ba’de’l ‘aşâ üç fasıl, bir ceng-i harbî çalub padişaha du’a iderler. Seher vakıtlarında, sabaha üç saat kadar kaldığında, erbâb-ı dîvânı dîvâna ve cümleyi salâta uyandırmak içün yine üç kere fasl-ı lâtif iderler ki bîdâr olanlara hayat verür, kanun-ı Osmanîdir (1896: 621).

Cette histoire, bien qu’il soit une légende, est significative puisqu’il exprime que le “mehter “ est un caractéristique inséparable de l’honneur et de la gloire du Sultan Ottoman ainsi que l’égalité des privilèges accordées au sultan par les lois ottomanes. Toujours entouré du respect de son peuple, ils étaient accueillis partout avec enthousiasme et joie. Les emblèmes de la puissance militaire ont été presque considérés comme des objets sacrés. Les objets de ce genre saisis dans une guerre, ont été marqués avec une inscription de la date et chéris comme les trophées de guerre. En cas de défaite, c'était vraiment très malheureux et honteux pour les musiciens de quitter leurs instruments dans les mains de l'ennemi.

L'association de “mehter” avec la personnalité du Sultan évoque, conformement à l’idéologie de la guerre sainte Islamique, le fait que le souverain associe le titre du Sultan avec celui du Calife d'Islam. Dans la théologie sunnite, l'autorité politique et religieuse a trouvé son foyer dans la personne du Calife et le concept de son titre. Le Califat représentait l'axiome fondamentale d'existence Islamique qui dit que l'état est le signe et la caution de la foi et la foi est le support et la garantie de l'état" (Cragg 1975 : 78). Le Califat Ottoman, à partir de 1517, date où le califat est passé aux ottomans jusqu’à l’abandon par les Turcs eux-mêmes en 1924, le Califat Ottoman a gardé l'Islam occidental sous son autorité dans un large territoire. Par conséquent, les turcs qui ont donné une grande importance au fonctionnalisme sociale des institutions religieuses et culturelles, ont bien porté la gloire et l’honneur de l’Islam. La philosophie Sunnite bien tenue en équilibre des Ottomans a mis sa marque humaniste sur tous les aspects de la vie séculaire et spirituelle. Cette attitude impliquait un esprit de tolérance qui a réconcilié la tension idéologique entre la culture et la religion.

Une autre dimension significative de la fonction exécutée par le “mehter” s’apparait dans la relation entre les temps des “namaz” (prières quotidiennes) et les performances de “nevbet”. Les devoirs d'exécution quotidiens de la bande “mehter” avaient lieu après les prières quotidiennes régulières, notamment après les prières de “ikindi” (après-midi), de “yatsı”(nuit) et de “sabah”(matin). La juxtaposition de ces différentes activités exprimait la prise en considération de l'opposition et la durée écoulée entre le temps religieux et le temps séculaire. Ces deux domaines n’étaient pas, en fait, séparés l’un de l’autre. La performance de “mehter” qui venait juste après le temps consacré au “namaz”, au domaine sprituelle, était un résultat de la prière de “namaz”. Pourtant, le spectacle-performance militaire et politique de “mehter” n'était pas complètement en dehors de cette durée. Le spectacle de “mehter” était une représentation symbolique de l'autorité spirituelle et du pouvoir du Padishah en tant que sultan Ottoman et Calife de l’Islam. Et tout cela pouvait être considéré avec le “namaz” et il n’existait aucune opposition entre eux. En fait, les notions d'état et de religion s’unifiaient dans la personnalité du Sultan. Comme Evliya Çelebi a bien exprimé, le “mehter” était là où la bannière du Prophète flottait.

Dans le répértoire du concert “mehter” il y avait aussi une prière spécifique qui s’appelle “gülbank”. La prière “gülbank” chantée dans les performances quotidiennes du mehter, s’appelait “eyyam-ı âdiye gülbankı”, et celle chantée pendant le temps de bataille s’appelait “cenk-i gülbank”. Une autre caractéristique religieuse du mehter était la prière chantée pour le Sultan dans certains moments. Les paroles de louange et de gloire adressées à Allah telles que,”Yallah”, “Allahu Ekber”, “haydi Allah”, “Yektir Allah”, “Ya Fettah” criées par les musiciens mehter dans certains moments de leur performance quotidienne et l’exclamation spirituelle “Hû” (pronom du Dieu crié par tous les musiciens) renouvelaient la fois des tous les croyants.

La présentation de performance “mehter” dans son cadre régulier peut être considérée comme un événement théâtral complexe impliquant divers moyens d'expression. Les acteurs présentent l'un à l'autre et aux autres, en s'affichant consciemment dans un temps et lieu précis. La performance mehter possède donc toutes les qualités exigées d'être considérée un événement théâtral qui se produit dans les contextes différents. Le théâtre mehter peut être un événement théâtral de guerre aussi bien qu'une célébration rituelle ou un théâtre d'amusement en temps de paix. En tout cas l’éxecution de “mehter” n'est pas un concert simple, mais elle est un spectacle théâtral qui inclut les systèmes de signes qui se reposent sur les catégories acoustiques, visuelles, linguistiques et cinétiques. Le système prévalent du “mehter” est une musique vocale et instrumentale, réalisée par l’union harmonique des récitations, des exclamations linguistiques, des morceaux de dialogue simple en forme de question- réponse, des mouvemens et placements dans l'espace, des costumes et objets specifiques. En ce qui concerne le mouvement exécuté dans l'espace, on peut distinguer l’expérience proxémique des artistes qui font de petits mouvements en jouant leurs instruments. Ces mouvements reflètent peut-être les expériences vécues lors des marches et des déplacements (avec leurs animaux ) dans de plus grandes espaces où ils perdaient leurs places. Les costumes uniformes des musiciens de “mehter” sont déterminées par un code strict.

La forme typique du concert de “mehter” est dramatique. La scène est l'endroit où les artistes jouent leurs rôle. Quant au spectacle du “mehter”, la scène est l’espace où ils présentent leur spectacle ou le chemin sur lequel ils marchent en jouant leurs instruments. Bien que l'espace de performance ne soit pas tracé par une structure physique, la surface spatiale est prèsque séparée des spectateurs comme l'espace magique des rites anciens ou la scène située juste au centre du théâtre archaïque rond. Les artistes sont symboliquement isolés du spectateur et l'espace où ils se présentent ou ils marchent devient leur scène de théâtre. En exécutant leur concert dans un endroit, les musiciens “mehter” se placent, suivant l’ordre de niveaux des instruments, dans un cercle ouvert, ressemblant à une forme de nouvelle lune. En marchant et en exécutant la musique “mehter”, les joueurs d’instrument marchent à longs pas pleins de solennité semblable au pas de danse de guerre “zeybek” des “efe”. En s’arrêtant et en tournant à la moitié au côté à certains moments, les joueurs marquent le rythme avec l'invocation verbale "Rahim Allah eyisün."

Le protagoniste du jeu est le “mehterbaşı” (chef de la bande mehter) qui est le maître de cérémonie. Un échange bref de salutations entre le “mehterbaşı” et les musiciens est suivi par la déclamation appelée "vakt-i sürur-u sefa" avec laquelle commence la performance. Cette déclamation formulée sépare le temps virtuel théâtral du temps chronologique ordinaire. Le temps qui sera passé avec le théâtre “mehter”, sera le temps des cérémonies de célébration et de joie. Le protocole accompli par les salutations entre le chef et ses joueurs, annonce le temps virtuel de performance pour tracer le programme du jour. Maintenant tout se produit dans la région de mise en scène séparée des spectateurs par une ligne imaginaire. Il faut bien noter que le bande mehter maintenait toujours cette séparation magique, dans le temps de guerre aussi bien que dans le temps de paix.

Les dynamiques du spectacle dépendent des formes extérieures d'activité plutôt qu’une action métaphorique. Bien que la principale activité soit musicale, l'intention d'action dramatique est présentée dans les paroles des chansons héroïques. Le vrai conflit dramatique entre les armées des pays ennemis, vit dans les versets de ces chansons. De plus, la structure dynamique du scénario est soulignée par la progression musicale et les variations modales (makam) et temporelles produites au cours de l’avancement musical. Bien que le spectacle est composé avec un ordre et contenu polyvalent, il est hautement officiel et unitaire. L'action de poursuite du spectacle s’expose dans la succession de morceaux musicaux. En particulier le battement de tambour est destiné à lever le niveau d'attention en provoquant l'intensification de l'action. Les ordres musicaux avancent tantôt en augmentant la tension dramatique, tantôt en la diminuant pour atteindre le point culminant dans une explosion dramatique des signaux acoustiques donnés par des sons puissants.

Les facteurs pertinents gouvernait l'acte dramatique de mehter. La scène géographique de performance de mehter était particulièrement important: un champ de bataille, le fond d'une ville ou d’un tour de guet. La musique se mélangait aux bruits des canons et des armes éclatantes et résonnait dans les grandes espaces urbaines. Tous ces éléments ont contribué au contexte. La performance entière, du commencement à la fin, était un continuum d'une image temporelle dans laquelle chaque moment cadrait un morceau de musique particulier. Bien que la suite de chansons “mehter” ait une structure mélodique plus spécifique par rapport à la suite formelle de la musique classique, elle permettait plus de versatilité et d’adaptabilité dans le choix de morceaux. L'autre facteur qui rendait le “mehter” unique, c’était le fait qu’il prévoyait une communication théâtrale à double perception, l'auditif et le visuel. Bien que ces deux systèmes de perception fussent indépendants l’un de l’autre, ils exerçaient un effet commun sur l’image créé par l’ensemble du spectacle. Le son, la forme et la couleur s’ harmonisaient et créaient une expérience visuelle et auditive éblouissante.

La bande “mehter” a été composée de deux sections importantes: les instruments à vent (zurna, boru, kurrenay et klarnet plutard) et les instruments à percussion (davul, kös, nakkare, def, zil et çevgan). Le nombre d'artistes pourrait atteindre 200 personnes d’après la classe et le titre de l’homme d’état auquel a été attachée la bande. Leur nombre a doublé en temps de guerre. Chaque section instrumentale (“kat”) possédait de 3 à 12 instruments de la même sorte.La bande privée du Padishah avait,en général, neuf “kat”.

Le répertoire “mehter” se composait plutôt des “peşrev” et des “semai”; Les “peşrev” et les “semai” composés en général dans l’”usul” “düyek” formaient le coeur des marches militaires traditionnelles. La forme “ceng-i harbî” était une forme de composition particulière créée par “mehter”. À côté des marches militaires, la bande de “mehter” jouait et chantait aussi d’une variété de mélodies comme ilahi, chansons folkloriques et les airs de danse pour amuser le peuple des communautés des frontières de l’empire, dans les fêtes et jours fériés. La diversité des mélodies que le répértoire du “mehter” possède montre que la musique de mehter jouissait une large popularité parmi toutes les couches sociales. La musique de “mehter” intégrait, en fait, les mélodies urbaines et les chansons folkloriques avec les morceaux de musique classique et les marches militaires dans le même événement théâtral. Dans une perspective plus large nous pouvons dire que la culture de la musique “mehter” est devenu, avec le temps, une source pour le matériel fondamental de la musique turque et a contribué énormément à la formation du caractère de la musique nationale turque.

Comme les morceaux de musique “mehter” ont été appris oralement, de bouche en bouche, une partie du répertoire a pratiquement disparu. Pourtant, un bon nombre de mélodies créées par des anciens compositeurs de “mehter” sont parvenus à nos jours grâce aux notations laissées par Ali Ufkî et Kantemiroğlu. Haydar Sanal les a analysées et a transmises, avec d’autres mélodies fameuses, dans la notation actuellement utilisée (1964 : 171-295). Le style de plusieures mélodies traditionnelles a été absorbé dans le style des marches militaires composées ultérieurement.

L'organisation de mehter a été définie et établie par les lois d'état. Plusieurs codes importants définissant son statut officiel et ses devoirs ont été diffusées dans différentes périodes. La première législation a été instituée par le Sultan Osman qui a présenté, pour la première fois, la bande “mehter” et lui a donné la mission de jouer dans les cérémonies faites dans la cour et dans les heures des prières quotidiennes, dans les réunions de justice ceremoniales et aussi la mission d’accompagner le souverain. D’après la loi du Sultan Osman, les performances regulières de “mehter” avaient lieu après les prières du matin (à l’aube), de l’après-midi(ikindi) et de la nuit (yatsı). A la fin de leur programme, la bande “mehter” priait pour la santé et la gloire du Sultan (Husrevani).

Le Sultan Fatih Mehmed (Mehmed le Conquérant) a institué la deuxième législation. Pendant son règne, la musique “mehter” avait une plus grande mission en tant que musique militaire qui motivait les soldats lors de la conquête de Constantinople. Afin de fortifier l'esprit de conquête, la bande “mehter” accompagnait le Sultan dans ses campagnes et jouait dans les champs de batailles. Le Sultan Fatih a appliqué, aux organisations des cérémonies de la cour, le modèle Byzantin qui avait utilisé jusqu’ au quatorzième siècle, la musique spectaculaire pour accompagner les personnes portant la robe d'honneur de l'Empire (Picken 1975 : 501). Il a placé, en plus, les ensembles de “mehter” dans différents endroits d’Istanbul: dans les tours de guet et dans les murailles. Les bandes de mehter ont été établies dans les régions de frontières aussi(Tezbasar 1975 : 24).
On a envoyé les bandes de musique “mehter” partout aux provinces, aux villes, aux forteresses, aux villages. Fatih a construit les batiments utilisés par les bandes “mehter” comme quartiers généraux. La corporation “mehter” a développé au quinzième siècle son organisation et sa musique. Ce développement se reposait plutôt sur l’exemple de Tabilhane (ensemble musical composé de grand tambour, cornet, tuyau et de cymbales) des Seldjukides d’avant les Ottomans (Gazimihal 1957 : 12-13). Après Fatih, le nombre de bandes militaires a augmenté considérablement. Au dix-septième siècle la splendeur du mehter a atteint son niveau le plus élevé. Les grands tambours qui s’appelaient “kös” ou “kus-i hakani”, d’origine chinoise, ont été introduits pour leur son etourdissant. Les “kös” ont été portés sur des chevaux, des chameaux ou des éléphants. Le sultan Genç Osman (1618-1622), un général brave, qui voulait de restituer la gloire du Sultanat, les a menés à la bataille de Hotin (Evliya 1896 : 622). À partir de cet événement le “kös” a été considéré l’instrument impérial du Sultan. Plus tard, le Sultan İbrahim (1640-1648) a accordé au “mehter” un plus grand rôle dans les cérémonies de la cour.
Le monde occidental a entendu pour la première fois la voix tonnante du “mehter” turc quand Fatih Sultan Mehmed entra triomphalement à Istanbul. Avec les armées Ottomanes avançant vers l’ouest, la voix du “mehter” s’étendait de plus en plus largement. Le rugissement tonnant des tambours sur le champs de bataille avait l'effet le plus terrifiant sur les ennemis. Les chroniqueurs européens racontaient souvent l'impact de tambour en le comparant avec les forces surnaturelles imaginaires qui frappaient avec les baguettes de tambour sur les dos des soldats chrétiens. La bande de “mehter” flanquait le Sultan et ses Vizir et jouait sans cesse pendant la bataille, les musiciens criaient souvent d’une voix forte les louanges "Yektir Allah” et “Allahu Ekber”. Si la bande “mehter” cessait de jouer, les Janissaires le prendraient comme un mauvais présage. Chaque fois que l'armée commençait à se préparer pour une nouvelle expédition, on appelerait le “mehterhane” pour inculquer aux Janissaires et aux autres soldats de l’armée, le sentiment de victoire. D’après la croyance traditionnnelle turque, la performance du “mehter” se produisant à la veille de la bataille, serait suivie inévitablement par la victoire. Le son de la musique “mehter” ranimait évidemment les esprits de ces hommes et l’image d’une armée toujours vainqueur. Le son des tambours qui était le signe d’un destin inexorable et d’une puissance irrésistible, intégrait les transformations culturelles et idéologiques de toutes les codes qu’il symbolisait. Ce son qui exprimait le message d’une puissance qu’on ne peut jamais vaincre a intégré tous les codes importants des transformations culturelles et idéologiques de tous les codes importants.
Après que l'ère des conquêtes Ottomanes se fût terminée, la culture “mehter” a commencé à se développer vers l’extérieur des frontières ottomanes. Les premiers ambassadeurs ottomans en Europe ont emmené les bandes de musique aux pays où ils ont été nommés. Les européens ont été stupéfiés par la splendeur majestueuse du “mehterhane impérial” et de leurs costumes exotiques. Le roi de la Pologne et le voïvode roumain avaient établi, en plus de leurs bandes militaires d’état, une bande de musique turque. Dans la première moitié du dix-huitième siècle, le son de la bande “mehter” turque s’est infiltré dans les bandes militaires des pays Occidentaux. En même temps, le goût pour les modes orientales, a trouvé des échos dans les beaux-arts avec les styles turcs sous le nom "turqueries”. Les bandes militaires européennes de corps élites ont été formées d’après le modèle turc avec l'introduction des instruments de percussion. Dans un très peu de temps, l’engouement pour la musique turc avait influencé la plupart des armées européennes. La passion pour la bande de musique turque a duré en Europe pendant un demi-siècle avec des embelissements exagérés.

Les chefs de bande avec bâton à la main, les musiciens noirs portant des chapeaux et des costumes exotiques très ornées et colérées, ont ajouté l’acrobatie et la jonglerie au défilé du cortège musical (Farmer 1912 : 71-72). Le maniérisme de “bandes turques européennes" était une forme de mutation qui a déplacé le “mehter” turc original dans une zone carnavalesque. Ce manièrisme a détaché le son “turc” de son sens d'original, l'a dégénéré et l’a détourné vers de nouvelles relations semantiques. Des vieilles peurs inspirées par le mythe du Grand Turc avaient disparu en se remplaçant par un amusement d’un style carnavalesque. Le mythe recréé, représentait le “Turc” comme le protagoniste d'un festival populaire entouré par un spectacle coloré. En plus de l’atmosphère familiale des spectacles populaire, le son turc musical a fait naître le courant de musique "alla turca" et est entré dans les zones dignes de la musique d’art occidentale et même dans les opéras avec le thème turc.

Les instruments à percussion du “mehter”, adaptés aux bandes militaires européennes sont revenus, d'une façon paradoxale en Turquie au début du 19ème siècle dans de nouvelles formes. Maintenant l'influence occidentale s’est infiltré dans les bandes militaires turques et aux environs de 1820, on avait formé de nouvelles bandes qui s’appelaient “tambour major” dirigées par les officiers de bande. L’introduction de l’harmonisation sous l’influence de la musique occidentale a préparé des changements ultérieures. L'application de l'harmonisation en musique turque qui était une grande nouveauté pour les musiciens turcs, a facilité l'acceptation de techniques européennes dans les bandes militaires turques.

Finalement, la proche association d'organisation entre le “mehter” et le Corps des Janissaires a préparé la fin fatale du “mehter. Le Sultan Mahmud II (1808-1839) a aboli en 1826 le Corps des Janissaires et a interdit l'ordre Bektashi bien que l'ordre ait continué à survivre illégalement. L’abolition du Corps des Janissaires et l’interdiction de l’ordre Bektashi ont bouleversé les organisations de “mehter”. La réforme s’appelant “Vak'a-i Hayriyye” avait pour objectif de détruire les vieilles intitutions et de construire de nouvelles institutions. Dans la même période, la bande de musique militaire turque a été remplacée par une nouvelle bande militaire s’appelant “bando” établie d’après le modèle occidental. Un institut militaire de musique appelé “Muzıka-i Hümayûn a été fondé en 1831 et dirigé sous la supervision du Sultan (Üng ö r 1966 : 31-42).

La période qui a suivi les réformes a révélé les tendances contraires l’un à l’autre ; certains disaient que le “mehter”devrait être gardé tel qu’il est et les autres voulaient le ranimer et sublimer. Le résultat de ces compromis s'est avéré assez décevant. Le mehter a été négligé pendant une longue période. Cette négligeance a duré jusqu’aux activités de ranimation du “mehterhane” dirigées par les intellectuels romantiques qui ont été stimulés par le réveil nationaliste du début du siècle. Celal Esat Arseven, un auteur exalté, a pris l’initiative: il a organisé le premier concert de musique “mehter” avec la participation du piano et du violon en 1911. La forme de présentation était apparemment un hybride de la musique mehter et de l’harmonisation occidentale et elle avait un style d’”alla turca” proche de la sensibilité européenne. Peu après, Ahmed Muhtar Paşa, le directeur du Musée Militaire de cet époque-là, a réorganisé, sous sa direction, le “Mehterhane-i Hakanî" en 1914. Avec cet acte, la musique “mehter” n'a plus été considérée comme un événement réel de signification politique et militaire qui vivait dans les grandes limites de la vie turque mais a été considéré comme un objet à valeur historique. Elle a pris sa retraite et devenu un objet de musée.

La dernière législation sur le “mehter” a été établi par Enver Pacha en 1917 à l'occasion de la réorganisation de l'armée avec la conception moderne. Le nouvel ordre du “mehter” a été défini par un réglement qui comprenait toutes les questions concernant la construction et la discipline de la nouvelle bande de musique militaire. Pendant ce temps le “mehter” a continué à s'attarder dans l'ombre. Depuis la fin de la Première Guerre Mondiale le Califat n'avait plus de sens pour les Turcs. Le domaine d’activité de “mehter” a été détruit et effacé. Bien que Halil Nuri Yurdakul a fondé une bande de mehter pour les appeler à rendre service au pays pendant la guerre d'Indépendance mais la bande “mehter” qu’il a établie n'avait pas une personnalité réelle. Et en 1935, le Ministre de la Défense Nationale, Zekâi Apaydın a aboli le corps de mehter encore une fois sous prétexte qu’il n’était qu’une pauvre réplique de l'original. C’est claire que le “mehter” ne pouvait pas trouver sa place et ne pouvait pas non plus exécuter sa propre fonction dans le nouvel état turc moderne et laїc. La restauration du mehter ne pouvait avoir aucune relation avec la signification d’origine, puisque son lien avec sa réalité a été rompu.

La nouvelle société ne pouvait pas retravailler, dans de nouvelles formes, les dessins traditionnels qui avaient formé l'institution mehter dans ses conditions historiques. Le “vieux mehter” n'avait aucune place justifiée dans l'organisation militaire moderne et la rupture historique ne pouvait pas être réparée. Et pourtant l'image de la splendeur de “mehter” a été profondément implantée dans la mémoire du peuple et cette mémoire n’avait pas disparu complètement. Le mythe de mehter se trouvait enterré dans la splendeur du passé glorieux. Finalement, les souvenirs de sa signification historique seraient restitués. Une nouvelle mutation est née de cette quête. Le Mehter a été de nouveau réanimé et réorganisé en 1952 sous une nouvelle apparence. Une petite bande de mehter habillée dans les costumes originales et équipée des instruments traditionnels est fondée et inclus dans le programme d'exposition régulier du Musée Militaire à Istanbul.

La reprise moderne du spectacle de “mehter” représente la folklorisation de l'événement. Aujourd’hui, la performance de mehter se produit régulièrement au Musée Militaire comme une invitation pour découvrir et contempler le passé historique pour les visiteurs et les touristes. La réinterprétation du spectacle de mehter a pour but de recréer l'événement avec ses caractéristiques originales et de s'en souvenir simultanément. Le message de performance est artificiel, personnifié dans une réalité de déchirure, enveloppée dans les images et les métaphores qui sont étrangères pour la culture moderne. Les spectateurs, pourtant, désirent de savoir que le spectacle représente la réalité du mehter et sentir l'intégrité du spectacle pour définir l’événement “mehter” comme une mémoire vivante.

Dans son époque historique, l'événement mehter se reposait sur l'institution de la souveraineté du Sultanat. Les artistes transformaient, par la langue de musique, la gloire du Sultan dans une ferveur idéologique et présentaient des images et metaphores riches à ceux qui connaissent cette langue. Comme une réflexion de l'unité et l’intégrité Ottomane Sunnite, le mehter s’alimentait par la dynamisme de la communauté de croyants liés à l’ordre d'umma. Historiquement, le mehter est un anachronisme avec une déclaration commémorative. Afin de pouvoir être de nouveau une puissance temporelle et spirituelle, le peuple turc a besoin de l’image historique du mehter gravée dans sa mémoire.
La bande de mehter actuelle du Musée Militaire est un spectacle paradigmatique qui transforme une institution morte dans une image exemplaire qui unifie les modes du temps passé et du temps présent. Dans l’imagination du peuple, le “mehter” possède le pouvoir magique pour s'échapper du temps imaginaire et prolonger le temps apparemment historique.

(1)A. Galland : Journal d’Istanbul ,1972-1973 : A. Galland décrit le “Nefir”, d’après la decription d’Evliya Çelebi, son contemporain : Le “Nefir” était une sorte de “Zurna” équipé d’une ouverture appelée “Sipsi” au dessus et à trous. Ce trop grand instrument donnait le son d’un bugle.